En première ligne pour Toulon ( Source JDD )

En première ligne pour Toulon ( Source JDD )

11 mai 2010 - 9:55

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aToulon, 18 juin 1995. Campé sur le balcon de l’hôtel de ville, Jean-Marie Le Chevallier exulte. Ce lieutenant de Jean-Marie Le Pen offre au Front national sa première commune de plus de 100.000 habitants. Mourad Boudjellal s’est faufilé dans la foule massée au pied de l’édifice. Il observe, prostré: « C’est comme si on avait dit ‘sales Arabes’ à mes enfants. Ma grande fille en a pleuré. »

Le temps a passé. Editeur de BD à succès, Boudjellal, 50 ans, préside depuis quatre ans le Rugby Club toulonnais. Sa fortune et sa faconde ont attiré de grandes stars étrangères, comme l’Anglais Jonny Wilkinson. Personnage détonnant dans un milieu conservateur, il a permis au RCT de réintégrer le gotha. Samedi, son club affrontera Clermont en demi-finale du championnat. Puis, le 23 mai, les Gallois de Cardiff en finale du Challenge européen. Autant d’occasions d’effacer un peu des stigmates de 1995: « J’ai bâti une équipe multiraciale, avec des Britanniques, des Argentins, des Néo-Zélandais, des Sud-Africains qui portent un message: ils montrent ce que l’immigration peut apporter. Il y a un tel engouement autour d’eux. La ville explosera si on est champion. Ça va dépasser l’entendement. »

«Né pauvre, « ce qui est plus compliqué que de naître arabe », il pèse aujourd’hui 40 millions d’euros»

La perspective d’une avenue de la République repeinte en rouge et noir, les couleurs du RCT, là où paradait l’extrême droite en 1995, est rédemptrice à souhait: « Pendant six ans de FN on a morflé. Tous les groupuscules, tous les fatigués de la planète se sentaient chez eux à Toulon. On a même eu les révisionnistes. A la Fête du livre, je me suis retrouvé face à des pépés courtois qui m’expliquaient que les rapports sur les camps de concentration avaient été écrits à la main, dix ans avant l’invention du stylo Bic. Faut pas se leurrer, quand je suis allé dans la foule qui acclamait Le Pen, les gens criaient ‘La France aux Français’. Pas ‘On veut du boulot’ ou ‘On veut du pain’. C’est la seule fois de ma vie où j’ai eu un sentiment d’appartenance communautaire. »

Il rencontre alors Ahmed Touati, devenu son meilleur ami: « Notre première rencontre, c’était comme dans un western, raconte Touati. Il était de gauche, moi de droite, on s’est empoigné à propos des élections à la terrasse d’un café. Puis on est devenu des amis. En tant qu’employé municipal, j’étais très opposé à la mairie FN. Les journalistes parisiens nous conseillaient de quitter la ville. Ils ne comprenaient pas que lorsqu’on est de Toulon, on est fou de cette ville, on ne l’abandonne pas. Aujourd’hui, je suis un miroir qui permet à Mourad de se rappeler d’où il vient. »

Lorsque l’éditeur acquiert en 2006 le RCT, le club, trois fois champion, mais sevré de trophées depuis 1992, végète en deuxième division. Le nouveau patron est un fan de la première heure. Son personnage colle aux canons locaux. Il a de l’allure, le verbe haut, roule en Maserati: « A Toulon, on est des rebelles. C’est ‘On craint degun’ et ‘On destronche tout le monde’”, s’amuse Boudjellal. Telle est précisément son ambition: « Je voulais remonter en Top 14 pour ma ville, pour montrer qu’à Toulon on peut réussir. » Maire depuis 2001, Hubert Falco (UMP) décrypte: « Le RCT, c’est notre histoire, notre identité, il nous rassemble dans notre diversité. On est tous rouge et noir, qu’on soit médecin, chômeur ou employé. Les Toulonnais vivent avec le RCT au cœur. » Tous les Toulonnais, même ce bon quart des électeurs qui continuent à voter FN .

«Mon équipe avec des Britanniques, des Argentins, des Néo-Zélandais, des Sud-Africains, montre ce que l’immigration peut apporter»

Dès son installation, le nouveau président s’engloutit dans sa tâche: « J’ai mis 6,5 millions d’euros de ma poche, j’ai moins vu ma famille, mes trois filles ; j’ai un peu délaissé ma boîte. Physiquement, J’ai pris dix ans. Mais, aujourd’hui, le club est performant, c’est un poids lourd économique, qui vit sans mon argent. » Omniprésent les jours de match, jamais en panne d’une pique en direction des dirigeants du rugby professionnel, Boudjellal est associé à chaque défaite et succès toulonnais. A son corps défendant, assure-t-il. « C’est parce que je suis un enfant du pays. Il y a une histoire entre le club et moi qui n’existe pas ailleurs. Peut-être aussi que s’il y avait moins de consonnes dans mon nom, les médias s’intéresseraient moins à moi. »

Affable et entier, Boudjellal se prête au jeu. « On veut tous notre part de notoriété. Je l’ai voulu, même si aujourd’hui ça me fatigue de poser pour la photo dans des soirées où je suis bourré avec les copains. » A longueur de colonnes, les journaux véhiculent donc la success-story du fils d’une concierge et d’un chauffeur algériens, amoureux de BD et fondateur de Soleil Productions. Il pèse 40 millions d’euros, habite une villa décorée par Starck dans le quartier le plus huppé de Toulon. « Je n’ai pas couru après l’argent, je voulais juste faire aimer la BD. Je me suis rendu compte en cours de route que ça pouvait rendre riche. A 30 ans, j’ai découvert une nouvelle vie. Une vie où on fait le tour du monde, où on voyage en première, on prend le Concorde, on fréquente les restaurants étoilés. »

Né pauvre, « ce qui est plus compliqué que de naître arabe », il dit en conserver des réflexes: « J’ai la culture du ‘je vais pas y arriver’. Quand j’ai monté ma boîte, j’étais certain que j’allais me planter. Mon unité de mesure reste le smic. Je me demande comment je vais assurer mon train de vie si je me plante. Il y a une corrélation avec le rugby. Le titre de champion, je n’y crois pas. Et ça va être de plus en plus irréel à atteindre, car les autres clubs vont s’armer. Notre seule chance, c’est de faire un hold-up. »

Titres ou défaites n’auront pas d’impact sur son avenir au RCT. Boudjellal se vit d’abord en homme pressé: « Tant que j’ai des émotions, je continue. Mon moteur, c’est de faire le maximum de choses avant de mourir. Des mauvaises nouvelles m’attendent, comme la mort de mes proches. Beaucoup de gens prennent des Aspegic pour éviter d’y penser. Toute personne un peu consciente ne peut pas être heureuse. J’essaie de me droguer aux émotions. On est heureux quand on est dans sa drogue, même si c’est illusoire. Je suis perpétuellement en recherche de doses. »

En plus de susciter la fierté de sa ville, Boudjellal fait celle de sa mère, qu’il visite chaque jour, dans la HLM qu’elle refuse de quitter: « Elle ne vient pas au stade parce qu’elle a des problèmes de coeur. Mais elle n’est pas couchée tant qu’elle ne connaît pas le résultat du match. Et puis elle vient à des réceptions de partenaires. Elle fait le tour en disant à tout le monde: ‘C’est mon fils!’‘.

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  1. Moccot ardènt 11 mai 2010 à 11h

    Merci encore pour tout président. Grâce à vous, je suis de nouveau fier d'être toulonnais. Mes amitiés à votre mère.

  2. pck-touon!!!!! 11 mai 2010 à 11h

    c'est beau aller toulon !!!!!!!!!!! champions de france

  3. grego83 1 février 2012 à 19h

    Fier de notre Prez.. 🙂

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