Dans le rugby français, le vacarme du silence collectif est parfois assourdissant. Dès qu’un sujet devient trop sensible, trop exposé ou trop dérangeant, une mécanique bien huilée s’enclenche : on détourne le regard, on baisse le ton, on attend que l’orage passe.

Le rugby aime se penser comme une grande famille. Traduction concrète : on règle les problèmes entre soi, sans éclats, sans vagues, et surtout sans témoins.

Ces derniers jours, pourtant, l’actualité avait tout pour provoquer des débats ouverts. Sanctions disciplinaires concernant Stade Toulousain, Béziers, Biarritz ou Dax ; interrogations persistantes autour de l’inaction supposée de l’A2R ; questionnements sur la rémunération du président de la Ligue Nationale de Rugby ; et décision lourde de conséquences avec la suppression de l’access match entre Nationale et Pro D2. Autant de sujets explosifs, appelés à nourrir la discussion.

Et puis… plus rien.

Aucune prise de position forte. Aucun dirigeant pour défendre publiquement une lecture différente des sanctions infligées. Aucun club de Pro D2 pour contester l’évolution du système sportif. Personne, ou presque, pour interroger l’équilibre des pouvoirs alors que Florian Grill impose désormais sa présence à la table du rugby professionnel. Comme si tout avait été acté, digéré, enterré.

Dans ce paysage figé, une exception : Bernard Lemaître, président du RC Toulon, qui a osé effleurer les sujets qui fâchent, notamment celui du salary cap. Une prise de parole isolée, presque incongrue dans un univers où l’on préfère les sourires polis aux débats frontaux, les communiqués lisses aux désaccords assumés.

Car personne n’est dupe. Ces silences répétés ressemblent moins à de la sérénité qu’à une incapacité collective à se dire les choses en face. Dans un rugby de plus en plus concurrentiel, où les équilibres économiques restent fragiles malgré des voyants globalement au vert, cette culture du non-dit interroge. Elle donne parfois le sentiment d’une omerta douce, où chacun protège son territoire en évitant soigneusement d’allumer la moindre mèche.

Le rugby français continue de croître, d’attirer, de remplir ses stades. C’est une réussite indéniable. Mais croire que les problèmes se résoudront seuls, à force de patience et de silences, relève presque de l’acte de foi. Le modèle est solide, certes, mais pas indestructible. Et le protéger suppose autre chose que de croiser les doigts en attendant que les tensions s’évanouissent d’elles-mêmes.

Ce devoir d’action incombe aux dirigeants et aux institutions. Parler, trancher, expliquer, assumer. Sans cela, le consensus affiché restera un décor de façade.

En attendant, le rugby a célébré Noël avant l’heure. Le spectacle était là, la ferveur aussi. Et si l’on sait que la perfection n’existe pas, on peut au moins espérer que, passé le temps des fêtes, le rugby français retrouvera aussi le goût du débat.