Bernard Laporte se confie

Bernard Laporte se confie

21 mai 2012 - 14:31

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Au cours d’un entretien donné au quotidien L’Equipe, Bernard Laporte aborde, avec la passion qui est la sienne plusieurs sujets. 

« Que répondez-vous à ceux qui pensent que c’est ridicule de remettre le survêtement après être passé au gouvernement ?

D’abord, ce n’est pas insultant, un survêtement. À chaque fonction, son habit. C’est sûr que tu ne vas pas en survêtement à l’Assemblée nationale, ou que tu ne t’entraînes pas en costume. Les gens qui pensent comme ça sont des idiots ! C’est comme si le président de la République devait faire des footings en costume… Ça ne veut rien dire. Quand tu as été ministre, on dirait que tu as été un Dieu… C’est une réelle reconnaissance, mais ça dure très peu de temps. Après, il y en a qui sont au chômage, qu’il faut essayer de recaser ; alors on les fout dans des placards. C’est ça, la réalité de ce monde-là. Mais ce n’est pas parce que tu as été ministre que tu n’as pas pu faire des choses avant ou après…

Mais entraîneur de rugby, c’est votre vrai métier, celui de “Bernie le dingue”

Mon vrai métier… Oui ! En réalité, mon vrai métier, je ne sais pas ce que c’est. Mais entraîneur est celui que j’aime le plus, c’est évident. Ma passion.

 Avant de dire oui à Toulon, vous estimiez qu’il vous faudrait du temps pour mettre de l’ordre dans vos affaires. Vous avez tout liquidé ?

J’en ai toujours, mais beaucoup moins. À ma sortie du gouvernement, je me suis réorganisé, j’ai repris des fonctions dans certaines affaires. Aujourd’hui, ça marche tout seul, sans ma présence. Et il n’était pas question de faire cinquante métiers si je disais oui à Toulon. Entraîneur, c’est prenant. Parfois, j’y passe mes dimanches soir, jusqu’à minuit. Je suis au bureau, seul, et j’y suis bien. Quand je pars, je me dis : “j’ai bien travaillé”, sans téléphone, sans que personne m’emmerde. C’est bien d’être avec les joueurs, mais j’aime beaucoup, aussi, être au bureau seul. Donc, pas question de faire cinquante métiers.

 À votre entrée au gouvernement, on avait beaucoup parlé de vos casinos. Vous êtes toujours dedans ?

Mais bien sûr. Le groupe Accor est propriétaire de casinos et coté en Bourse ; Franck Riboud, le patron de Danone, a toujours celui d’Évian. Un casino, ce n’est pas la malaria ! Je suis content d’avoir quatre-vingts employés au casino de Saint-Julien-en-Genevois (en Haute-Savoie). Justement, là-bas, j’ai repris une fonction de président du conseil d’administration, que j’avais abandonnée lorsque j’étais au gouvernement.

Vous devez très bien gagner votre vie à la tête de l’équipe de Toulon, mais n’est-ce pas rien à côté de vos revenus globaux ?

On gagne de l’argent en travaillant, pas en ne faisant rien. J’aurais pu rester PDG du casino, et pourquoi pas y être au quotidien… Mais je suis revenu au rugby beaucoup plus par passion, c’est vrai.

Justement, comment vous êtes-vous retrouvé à Toulon, alors que beaucoup vous croyaient perdu pour le rugby après des échecs à Bayonne et au Stade Français ?

Ma volonté, au départ, n’était pas d’avoir un rôle au quotidien auprès d’une équipe. Vous avez vu à Bayonne, où j’étais conseiller du président Alain Afflelou. Les Bayonnais voulaient que je m’engage. Ce n’était pas le bon moment. J’allais me remarier… Et quand Toulon m’a contacté, je me suis dit : “Non, non”. Puis Mourad m’a appelé ; le maire aussi, Hubert Falco…

Avec lequel vous avez été au gouvernement…

Oui. Je l’apprécie particulièrement. On était souvent ensemble à l’Assemblée nationale. Quand Hubert m’a téléphoné, même si je n’étais pas dans les dispositions d’esprit de reprendre un club, j’ai pensé : “je vais y aller, quand même, pour voir.” Car ça m’interpellait. C’était Toulon… Et il y avait Mourad (Boudjellal, le président du RCT) que je ne connaissais pas beaucoup, finalement.

Vous vous étiez pourtant parlé, au cours de votre émission de radio sur RMC ?

Oui. Je l’avais invité deux fois, mais on ne se connaissait pas. J’ai senti qu’il voulait réellement que je vienne. Et on aime tous se faire désirer… J’ai vraiment entendu dans son discours : “Bernard, si tu viens, tu auras les clés du camion”. Il y a eu un feeling. Dans l’avion, au retour, c’était : “Putain, tu as quarante-sept ans, si tu ne dis pas oui à ce projet maintenant, tu ne le feras jamais.” J’en ai parlé à ma femme. C’était un contrat de deux ans. Deux ans, ça passe vite… J’ai ruminé. J’ai eu à nouveau Hubert au téléphone. Tout était réuni pour que ça se fasse maintenant, sans éléments négatifs. J’en ai reparlé avec ma femme et : “Banco !” (il s’anime, rit.) Avec Vincent Moscato et notre équipe de juniors à Gaillac, on se prenait pour des Toulonnais. J’étais Jérôme Gallion, Vincent était « Ber » Herrero (Bernard, ancien talonneur international, frère de Daniel)… C’était marrant. Et en 1985, on monte à Paris avec Vincent à la finale Toulon-Toulouse (victoire toulousaine, 36-22, après prolongation) avec des écharpes du RCT. On aimait ce club, sa ferveur, ce jeu d’avants. Putain, tu t’imagines : entraîneur de Toulon ! Ça me faisait drôle…

Toulon où vous étiez venu, incognito, avant un huitième de finale resté fameux, pour sa violence, en 1991…

J’avais demandé à Yves Appriou (ancien entraîneur de Bègles) de ne pas me faire jouer le dernier match à Montauban. Je voulais aller voir Toulon, notre probable adversaire. Les gens ne me connaissaient pas physiquement ; quand le speaker a annoncé après le match que Toulon affronterait Bègles, j’ai entendu de tout… (Il prend l’accent toulonnais) “Putain, c’est des fadas comme nous. Ah, la tronche à zéro, on va voir ce qu’ils valent… » Tu m’aurais dit là : un jour tu entraîneras Toulon, je ne l’aurais jamais cru. Mais il y a eu tout un tas de choses…

Lesquelles ?

Tu vas entraîner Bakkies Botha… Tu vas entraîner Jonny Wilkinson que tu as haï pendant des années et des années. La première fois que j’ai vu Jonny dans mon bureau, ça m’a fait drôle car, finalement, je ne le connaissais pas. Il était, je ne dirais pas emmerdé… mais il a beaucoup de pudeur, de respect. C’est un mec merveilleux, Jonny. Merveilleux. Il n’y a pas d’autre mot. Du bonheur à l’état pur. Et le discours du président Boudjellal m’a plu et rassuré. J’ai vu dans ce mec, un peu de Max (Guazzini). Il n’est pas du sérail, mais parle juste. J’ai beaucoup de respect pour les gens qui mettent de l’argent et de la passion dans un club. Ils ont fait évoluer le rugby, que ce soit Guazzini, (Jacky) Lorenzetti, Boudjellal, (Alain) Afflelou, (Serge) Kampf. Quand je vois comment on les considère parfois, je me demande si on est normaux… Je ne dis pas qu’il faut les flatter mais leur dire : “Merci. Vous avez vu de la lumière, vous êtes entrés et vous avez fait grandir le rugby.”

Vous dites souvent de Mourad Boudjellal, votre président, qui a beaucoup investi dans le RCT, qu’il est stressé…

On est tous stressés, mais Mourad est plus expressif dans son stress. Mais pas parce qu’il met de l’argent ! Parce qu’il est passionné, qu’il aime son club. C’est la plus belle des choses, ça. Il ne pense pas : “J’ai mis de l’argent, je vais le perdre.” Jamais il ne me dira : “Bernard, j’ai mis tant, il ne faut pas perdre.” Mourad aime la vie, le bon pinard, je ne peux que m’entendre avec lui. Je suis aussi épicurien. Je n’ai pas envie de gens tristes, on en croisera assez quand on sera morts. On me dit que Mourad est excessif ? Je préfère ça qu’un mou ! Des mous, je n’en veux pas. On n’en a plus dans le vestiaire.

 Compte tenu de vos fortes personnalités, tout le monde pense que vous vous écharperez un jour avec Mourad Boudjellal…

Mais jamais on ne s’écharpera. Pourquoi le ferait-on ? Mourad est le patron, le président du club, c’est aussi simple que ça. On passe de bons moments ; on a fait quelques bouffes en tête à tête où on a bien rigolé. Je comprends sa passion, il comprend la mienne et on est dans le même bateau. Si j’avais senti qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas entre nous, je ne serais jamais venu.

Mourad Boudjellal, traditionnellement, « offre » un joueur du président que ne souhaite pas forcément le manager…

Ça, il ne m’en a jamais parlé. Mais s’il veut prendre un joueur, c’est avec plaisir… mais qu’il en prenne un bon ! (Rires.)

 Le choix de Frédéric Michalak, par exemple, n’était pas forcément le vôtre…

Si, si, on en avait parlé. Mourad n’est pas arrivé en me disant : “Michalak a signé.” On en a discuté pendant plus d’un mois.

Et ça vous fera quoi de retrouver Michalak, que vous avez fait débuter en équipe de France ?

J’espère surtout qu’il va se relancer. Il aura certainement l’esprit revanchard. Après, il y aura de la concurrence. Mais c’est bien qu’il vienne. Il a un nom, ça plaît ici, les noms. Ça plaît partout, mais il y a une telle ferveur à Toulon, une telle identification… Après, si tu te manques comme certaines stars se sont manquées…

Vous évoquez sans cesse la passion de Toulon pour le RCT, jusqu’à l’excès…

De l’extérieur, je faisais toujours ce parallèle : Toulon est au rugby ce que Marseille est au football. Il y a de l’excès, mais moi aussi je suis excessif ! Il y a beaucoup de passion, comme une religion, un stade au milieu de la ville, une pression qui fait que… Mais ce n’est pas d’aujourd’hui. C’est Toulon, quoi ! Alors, bien sûr que le rugby ici est passionnant, avec cet esprit méditerranéen : “On est rejetés, on nous en veut”. On dit que si je n’avais pas entraîné Toulon, je n’aurais jamais pris soixante jours de suspension  et Mourad jamais cent trente jours. Ici, plus tu es banni, plus tu es aimé.

Vous, Bernard Laporte, ne pensez pas que le RCT est mal aimé ?

Ce sont eux, ici, qui le disent, depuis cinquante ans. C’est ce qui crée un lien. Mais moi, sincèrement, non, je ne pense pas qu’ils ne sont pas aimés ; ce n’est pas possible ! Mais on en joue un peu ; à Toulon, ce n’est jamais neutre.

Quand vous rentrez à la maison, il vous arrive de dire à votre épouse : “Ils m’ont fait rire aujourd’hui” ?

Non, mais je vois des comportements de mecs qui me frappent. Je me rappelle ce match contre Montpellier (victoire 19-6, le 2 mars). À la descente du bus, j’ai lu dans le regard de certaines gens une colère féroce, dans le sens “Il faut les fracasser ! » C’est surprenant.

Mais ça ressemble plutôt à votre tempérament…

Non. En rugby, il faut de la colère, oui, mais ne pas déraper. J’ai dérapé une fois, j’ai été puni, c’est normal. On a une image à donner, il faut faire attention.

Vous avez eu peur avant Montpellier ?

Je n’ai pas eu peur, car je savais que ça se passerait bien sur le terrain. Il ne fallait surtout pas que ça déborde, car ce n’est que du sport. On peut être chauvin, passionné, mais c’est du sport. On doit donner une belle image. Je méritais une sanction, car je me suis emporté, mais toute la semaine avait été pesante. Mais ça méritait une sanction, il n’y a pas de lézard.

Quand vous dites “une colère féroce”, vous avez le temps d’en prendre conscience en quelques secondes ?

Oui, tu le sens. Une énergie chez les gens… C’est de la folie. Ils sont prêts à frapper. Je n’ai jamais vu ça ailleurs, nulle part. Pour les supporters toulonnais, les joueurs sont les gladiateurs qui vont combattre et on les touche pour la dernière fois, on leur transmet quelque chose. Ici, les gens jouent par procuration, c’est ce qui est beau. C’est formidable pour les joueurs ; je leur ai dit plusieurs fois leur chance.

Mais vous connaissez la fascination du public de Mayol pour les bagarres, les matches brûlants…

Les bagarres, c’est fini. La passion de ce stade est pour l’engagement physique. Quand tu gagnes une mêlée, quand tu réussis un beau ballon porté, le public fait : “Ooooh ! » (Il le fait durer de longues secondes.) Même si on me dit que le public aurait beaucoup changé, ici, ils aiment le combat. Ce n’est pas réducteur, car c’est l’essence de ce sport mais, à Mayol, c’est amplifié. Ils se sont toujours identifiés à André Herrero, Éric Champ, Manu Diaz… Les supporters ne me parlent que des avants. Et un peu de Jérôme (Gallion). Ils ont eu de très bons trois-quarts, mais on ne te parle que des avants !

Aujourd’hui, ils discutent de Wilkinson quand même…

Oui, mais Jonny a été le meilleur joueur du monde ! Comme Umaga avant lui. Heureusement qu’ils en parlent ! Sinon, c’est la mêlée, Bakkies Botha, Simon Shaw… Tiens, une anecdote qui m’a fait marrer ; un jour, un supporter vient me voir, à l’époque où on parlait de joker médical. Il me demande : “Bernard, Shaw et Botha ne pourront jamais jouer ensemble ? » « Si, si ! » « Ouuhhhh” Ils sont tous partis, ravis : “Ils peuvent jouer ensemble !” Ils croyaient que Shaw allait partir lorsque Bakkies serait rétabli… Ce sont deux guerriers et ils s’identifient à eux.

 Au centre d’entraînement de Berg, on a vu plusieurs fois les supporters vous saluer. Vous les connaissez ?

Vous semblez très immergé dans votre nouveau club…

Oui. J’ai rencontré des anciens joueurs lors de dîners. Bien sûr qu’on a raconté des conneries, des histoires de bagarres, que je ne leur ai pas expliqué comment on allait jouer contre Agen : on s’en fout ! J’ai envie de les écouter, ils me font rire. Je ne sais pas combien de temps je resterai ici, mais j’ai envie de les connaître. Avec Jo Fabre (talonneur des années 1960), on va organiser une chose : réunir tous les anciens joueurs de première ligne du RCT et ceux d’aujourd’hui. Je voudrais qu’on se retrouve dans un cabanon à Solliès-Pont, un endroit magnifique, et que les vieux racontent leurs histoires de cons et les jeunes le rugby d’aujourd’hui. Qu’ils se parlent, quoi ! C’est une famille, une succession de générations.

Mais dans ce club, les anciens sont souvent fâchés entre eux…

Je n’entre pas là-dedans, ça ne me regarde pas ; mais, de l’extérieur, je trouve dommage de se fâcher. Toulon, c’est un village. Cinquante mecs à aduler, c’est difficile… Mais je veux qu’il y ait un respect, pas de haine entre anciens joueurs et actuels. Je ne connaissais pas Aldo Gruarin (26 sélections entre 1964 et 1968), dont Jo Maso m’a souvent parlé. Je suis allé le saluer dans son magasin, on a discuté vingt minutes. Il m’a dit : “Pourquoi tu es venu me voir ?” “Mais parce que tu représentes le club que j’entraîne. C’est toi qui en a écrit l’histoire, pas moi.”

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  1. ThomaasUSS 21 mai 2012 à 16h

    Moi je l'aime bien ce petit bernard 🙂

  2. Laurent C 21 mai 2012 à 16h

    J'adore…

  3. papy jacquot 21 mai 2012 à 16h

    Si je ne savais pas d'où il vient, je dirai c'est un Toulonnais ce mec !

  4. starlette 21 mai 2012 à 17h

    😀 excellent et sans langue de bois, sauf sur sa punition

  5. PatCracker 21 mai 2012 à 17h

    Du Bernie dans le texte.

    Ça c'est du positif.

    On en redemande…

  6. Jean-No 21 mai 2012 à 17h

    Bah autant à la fin de la saison passée j'étais pas content de sa venue et ultra sceptique; autant maintenant je suis content qu'il soit avec nous. Non seulement c'est un très bon entraîneur, mais en plus ça a l'air d'être un mec bien.

  7. ThomaasUSS 21 mai 2012 à 19h

    J'espere qu'ils nous ramèneront le bois de bois… 🙂

  8. Gégé 22 mai 2012 à 09h

    Je ne regrette pas de l'avoir soutenu contre les détracteurs à sa venue au RCT maintenant

    Je ne regrette pas de l'avoir soutenu lors de sa venue contre les détracteurs du blog Et maintenant il m'impressionne j'espère qu'il nous mènera loin:lol:

  9. Mataf 22 mai 2012 à 14h

    Chapeau! même si je ne l'appréciais guère avant (Bègles, équipe de France, gouvernement) je pensais que sa mentalité et le style de jeu qu'il prône plairaient aux toulonnais. Je suis content de ne pas m'être trompé. Il a tout compris de l'âme toulonnaise, des valeurs du RCT, du devoir de mémoire par rapport aux anciens du club. Et puis pour l'avoir côtoyé en quelques occasions, il est accessible pour tous, toujours prêt à discuter rugby, vraiment sa passion, mais aussi des choses la vie.

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