Les joueurs de Leicester ressemblaient un peu à des gros bouledogues anglais attachés à des chaînes. Ils n’avaient pas une once de talent offensif dimanche soir. Alors, ils ont joué les chiens de garde de la bonne vieille tradition des Midlands : ils ont poussé et encore poussé en mêlée au point de récolter six pénalités et d’imposer de sévères reculades au pack du RCT. Et à travers les beuglements du public, on distinguait les louanges tressées au valeureux pilier droit international Dan Cole à peine remis d’une blessure longue d’une année entière. Richard Cockerill l’a laissé sur le terrain pendant les quatre-vingts minutes, jusqu’à cette dernière mêlée interminable, recommencée deux fois dans un suspense à couper au couteau. Il a pourtant craqué sur ce dernier affrontement et Toulon a récupéré une dernière balle de match finalement gâchée par Juan Smith sur un en-avant.

Il en a fallu de l’abnégation aux avants de Leicester pour arracher ce succès à des Toulonnais si insolents. Les Tigres ont même piqué trois ballons en touche et Ben Youngs, le demi de mêlée international a réglé son curseur sur la fonction « coup de pied de pression dans la boîte » comme il l’avait d’ailleurs fait avec le XV de la Rose contre l’Australie. Il faut dire que les Varois avaient su les mettre en confiance dès la sortie des vestiaires. Peut-être que quand on joue dans une telle constellation d’étoiles, on trouve ça trop facile de prendre les matchs tout de suite par le bon bout… Toulon a démarré ce match comme s’il voulait expliquer comment se faire peur d’entrée de jeu en pratiquant un jeu plutôt fou-fou à l’encontre des indications données par la météo. La pluie avait cessé, mais la pelouse ressemblait à un bourbier et les Toulonnais se sont crus autorisés à se lancer dans des offensives téméraires. On a vu ainsi Bakkies Botha jouer les artistes et manquer une passe pour Castrogiovanni dans ses propres 22 mètres. Les vingt premières minutes du match du RCT ne furent ni faites ni à faire. Les hommes de Bernard Laporte les ont traînées comme un boulet.

DEUX ESSAIS À REBOURS DU MATCH

À force de bourdes et de coups de pied contrés, les Toulonnais ont multiplié les cadeaux à des Anglais qui n’avaient même pas besoin d’assurer leur possession. À jouer de façon aussi inconsidérée, les Toulonnais se sont retrouvés menés 13 à 3 juste ce qu’il fallait pour donner du tonus à ces Anglais censés représenter le rugby du passé. Autrefois, Leicester aurait fait fructifier sans problème ces dix points d’avance mais les scénarios de papa ont pris un coup de vieux. Les Bouledogues des Midlands ont compris que malgré la science de leur pack et la rudesse de Brad Thorn le plan de jeu minimaliste, fondé sur l’occupation, n’a plus la solidité d’antan.

Car ce Toulon-là, même clairement maté devant a les moyens de s’imposer partout à rebours de tous les vieux canons du rugby. Ses individualités résument sans doute toute la différence du niveau du Top 14 et l’Aviva Premiership. Il a suffi que les Toulonnais redeviennent un peu sérieux pour que la supériorité de Leicester s’en trouve ébranlée. Un coup d’oeil avisé d’Habana et Williams subit une interception de soixante mètres ; et que dire de cette mêlée de la cinquantième ? Totalement à l’envers de la logique du match, le pack rouge et noir enfonça son vis-à-vis et en une seule passe, Tillous- Bordes envoya Mitchell à l’essai. On penserait presque que les Toulonnais ont fait preuve d’une coupable désinvolture dans cette froide soirée britannique, comme un os donné à ronger à de vieux bouledogues anglais tout heureux d’une victoire qui, il y a dix ans, n’aurait pas fait un pli.

Source: Midi Olympique