Lors d’un long entretien accordé à L’équipe Magazine, le manager Toulonnais Bernard Laporte est revenu sur sa vision du poste de manager sportif d’une équipe de rugby. Il commence par nous parler de sa jeunesse, avant d’évoquer ses méthodes avec le RCT et sa façons de gérer le groupe Toulonnais. Extrait:

« Tout jeune, j’étais petit, maigre, chétif, complexé. Le rugby m’a donné de l’assurance avec ces mecs costauds qui étaient autour de moi. Et comme j’étais capitaine, j’avais une certaine importance vis-à-vis d’eux, ils aimaient que je les conditionne et moi, avec eux, je me sentais fort. Je n’avais pas le choix: ou ils m’acceptaient, ou je n’étais rien. Si tu n’aimes pas les autres, tu ne peux pas manager. Car c’est quoi être manager ? C’est s’occuper des autres, ce n’est que ça. La première chose dont je m’assure, c’est d’avoir des bons autour de moi. Je veux pouvoir déléguer et avoir confiance. Ensuite, j’aime les gens avec qui je travaille. A mes joueurs, je parle souvent d’amour.
Quand t’es manager, tu dois tracer un cadre. Faire respecter des règles. Mais ce n’est pas gueuler tout le temps. L’autoritarisme et l’autorité, cela n’a rien à voir. Je me suis soûlé la gueule avec eux, j’ai bu des coups jusqu’à 4 heures du matin sur la plage. Delon Armitage était surpris. Mais où est le problème ? Simplement, s’ils sortent dans le fossé, c’est à moi de les ramener sur la route. Il faut être dur quand ça ne va pas… je leur dis: « Quand je me mets en colère contre vous, c’est que je vous aime beaucoup. Si je ne vous aimais pas, je n serais pas là. » Après notre défaite à Oyonnax, je leur ai demandé: « Dites-moi la vérité les gars. Vous avez envie ou pas ? Si vous n’avez pas envie, je vous embrasse sur la bouche et je m’en vais. J’ai d’autres choses à faire dans la vie, j’espère que vous aussi vous en aurez d’autres. Mes grands-parents était paysans, ma mère faisait le ménage à la BNP, je l’attendais tous les soirs dans la cour avec un ballon jusqu’à 21 heures… Ça m’a toujours fait garder les pieds sur terre. »

Il explique également que l’équipe du RCT de l’année dernière est, selon lui, la meilleure équipe qu’il ait entraîné dans le rugby. Extrait:

« Je me disais qu’après l’équipe de France, je ne pourrais pas revenir dans le rugby. Mais, franchement, cette équipe du RCT championne d’Europe est certainement l’une des meilleures équipes que j’ai entraînées. »

Enfin, il explique, via un grave accident dont il a été victime plus jeune, combien le rugby est important pour lui. Extrait:

« J’ai eu un accident de voiture le jour de ma libération de l’armée. A ma sortie du coma, un des directeurs de l’hôpital, qui était également dirigeant de Bègles, m’a dit: « Dans neuf mois, on prendra la décision si tu peux rejouer au rugby ». C’est comme s’il m’avait poignardé. Ma mère est arrivée l’après-midi, je lui ai demandé d’aller m’acheter tous les livres sur l’entraînement de rugby qu’elle pouvait trouver. Elle est revenue avec quatre ou cinq livres. Je me suis dit: « Peut-être que je ne jouerai plus mais vous ne me l’enlèverez pas. Je vais entraîner. » Le jour des tests est arrivé. Ça a duré deux heures et puis l’attente… Ce n’était pas le couloirs de la mort, mais pour moi, ça y ressemblait. Finalement, j’ai eu l’accord pour rejouer… Je dis souvent aux joueurs: « La vie est fragile, tout peu s’arrêter en un instant. » C’est un privilège de pouvoir jouer au rugby, d’en vivre. S’ils ne se rendent pas compte de ça, ils ne se rendent compte de rien. Cette vie que nous vivons là est bandante. Je le sais d’autant plus que je l’ai quittée un temps. Or, même si j’avais d’autres challenges, il me manquait quelque chose. Souffrir ensemble, pleurer ensemble, vivre ensemble. »