Daniel Herrero évoque, sans langue de bois, les raisons de l’échec du XV de France

Daniel Herrero évoque, sans langue de bois, les raisons de l’échec du XV de France

25 février 2015 - 15:01

24 Commentaires

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1294509-daniel-herrero-ancien-joueur-puis-950x0-1Daniel Herrero, ancien entraîneur du RC Toulon devenu consultant (*), explique pourquoi cette équipe de France ne l’enthousiasme pas.

Quel est le principal reproche que vous faites à ce quinze de France ?

– La normalisation. Les joueurs jouent selon des choses apprises, répétées. Ça génère la prudence, et la prudence mène à l’ennui. Ça, c’est le sommet du désarroi et de la désaffection : “C’est quoi ça ? C’est quoi cette pauvreté ?” En Irlande, c’était piteux. À la 30e minute, je me suis dit : je peux éteindre le poste et commenter jusqu’à la 80e.

La normalisation, est-ce vraiment spécifique à cette équipe ?

– À mon sens, elle est un archétype d’une équipe normalisée, prévisible, mentalisée pour respecter l’ordre. Mais on est dans un processus qui date presque des années Fouroux (1981-1990). Avant, il n’y avait pas d’entraîneur, les joueurs arrivaient en équipe de France avec leur talent brut, sans avoir le temps de travailler ensemble. Donc, ce n’était pas le travail qui faisait le jeu, mais le talent. Avec l’arrivée des entraîneurs spécialisés, on est devenus ordonnés dans le travail de l’offensive. Mais l’attaque ne se travaille pas beaucoup, et seulement dans la quête absolue du désordre. L’attaque, quand elle est travaillée, elle génère des pré-attaquants, des gens uniquement formés pour désorganiser une défense structurée, pour être dans le sacrifice, pas dans la joie.

Mais les All Blacks travaillent aussi, et ça ne les empêche pas d’être dans la vraie attaque.

– Incontestablement. Mais le secteur offensif a deux aspects : le jeu dans l’ordre (après touche, mêlée) et le jeu dans le désordre. Dans le désordre, toutes les équipes – même les plus normalisées – ont l’idée de mettre du volume. Excepté la France. Aujourd’hui, les relances, l’ultime secteur où il existe beaucoup d’espace, sont délaissées. Selon moi, le travail a paupérisé notre jeu offensif. Il a amené à l’obsession de la rigueur alors que, culturellement, on avait un goût au désordre un peu supérieur au goût de l’ordre.

Expliquez-nous.

– Il manque l’irrévérence par rapport à l’ordre. La pétulance. On l’a un peu dans les fins de match, quand on est en poursuite au score. On se dit qu’il faut impérativement se lâcher, on sort des choses qui nous ont enfermés et ça pétille. Pétulance et irrévérence, ç’avait un mot : le French flair. Moi je dirais le panache. Pourquoi la France se désespère ? Parce qu’elle pleure son panache. L’ordonné nous a dramatiquement amené à penser que seule la victoire est belle. Faux ! Cette équipe a peu de victoires, mais aucune n’est belle, aucune ne reste, aucune ne donne de joie. Parce que seule la victoire avec panache est belle.

Vous pensez qu’on a tourné le dos à notre héritage ?

Ah oui ! L’éducation est passée par la rigueur. La rigueur, c’est un moteur de la performance, mais c’est aussi un cimetière. Parce qu’elle amène à la prudence et à l’ennui. Mais le plus gros danger, c’est que l’ennui touche aussi l’intérieur de l’équipe. Un groupe triste, ou terne, c’est un danger.

Vous sentez ça dans ce quinze de France ?

Oui. À travers son jeu. Et à travers le mimétisme de son leadership, c’est-à-dire de Thierry Dusautoir et des trois entraîneurs. C’est à la fois un mimétisme obsessionnel de l’ordre et de l’humble. Rien n’est panache là-dedans.

Finalement, les défaites vous importent peu.

Bien sûr. Et c’est la même chose pour le rugby de France. On a toujours été beaucoup plus sensibles à l’allure générale, à la capacité créatrice. Même si ce n’était que ponctuel, on savait qu’on avait ça en réserve. Même sous Fouroux, il y avait Sella, Lagisquet et Blanco, un potentiel de talents rares et on voyait quelques illuminations. L’équipe nationale est en voie de distanciation avec l’âme populaire sur la valeur morale de son jeu plus que sur son niveau de performance. Le public attend plus d’émotion que de victoires. L’émotion de l’offensive.

Le paradoxe est que le discours de ce staff n’est pas tourné vers un jeu restrictif.

Ce staff prône des possibles : on attaquera bientôt. Et en fait on n’attaque jamais. Ou si peu. On retient une percée de Michalak il y a trois ans contre l’Australie et celle de Fofana contre l’Angleterre. La vérité est : ce n’est pas parce que des coaches disent, que les joueurs font. Un joueur, il fait parce qu’il le ressent, que ça lui va bien, qu’il aime. Si on lui dit : attaque mais ne tombe pas la balle, c’est mort. Entre ce que ce staff dit et ce qu’il montre, il y a une antinomie. Ces entraîneurs ne sont jamais joyeux, ils ne sont pas dans le discours enthousiasmant. Or quand un entraîneur ennuie, il est rare que l’équipe chante. Ce staff est dans la croyance absolue du scientifique. Ça, ça transpire. Et ça crée un mimétisme. Maintenant, ce qu’il faut trouver, ce n’est pas un entraîneur pour les sorties de camp ou pour les buteurs, c’est un entraîneur de sortie de crise morale.

Vous seriez en face des joueurs, que leur diriez-vous ?

Je leur dirais : “ Ce peu d’appétit mis dans autre chose que l’application ou la volonté me désespère. ” Je leur dirais : “ Si c’est moi qui vous amène à jouer comme des robots industrialisés, honte à moi, honte à vous de me suivre. ” Les mots qui viennent avec cette équipe, c’est la mine et le labeur. On n’a pas envie de lui ressembler.

Alors, vous leur diriez : trompez-vous, mais tentez ?

Je leur dirais : “ Chaque fois qu’on récupère le ballon dans une situation de jeu où l’adversaire n’est pas placé, il faut qu’on joue. Il faut qu’on joue ! Et chaque fois que, dans nos systèmes, l’un d’entre vous a réussi à avancer même de 50 centimètres, mais avec du rythme, du tonus, de la déflagration, il doit y avoir urgence, hurlement, fusion collective. ”

Le décalage entre le discours du staff et le jeu est-il aussi dû, selon vous, aux choix des joueurs ?

Absolument. Il y a du talent en France : Parra, Lopez, Michalak, Trinh-Duc, Huget, Médard, Fofana en ont. Quelques-uns n’en ont pas beaucoup. Et ceux-là, les robustes, sont dominants dans les stratégies de cette équipe. Mais on aurait mis dans cette équipe de France des gonzes impertinents, ils se normaliseraient dans le système. Regardez la décadence créatrice de Fofana, de Médard : elle est hallucinante ! Parce que si tu demandes à tes joueurs de calculer tous les risques, ils n’en prennent plus. Point final. Qui peut faire péter les carcans ? Le premier à pouvoir le faire, c’est celui qui en définit les contours.

Si l’équipe de France gagnait la Coupe du monde sans panache, vous l’aimeriez ?

Après la demi-finale de la Coupe du monde 2011, j’avais écrit dans le Journal du dimanche :“ Nous ne devons pas y aller. ” Quand tu ne produis que des comportements qui sont à l’opposé du jeu, il y a une indécence morale à jouer la finale. Donc, pour revenir à la question : non, je ne crois pas qu’on l’aimerait plus. Quand l’équipe de France a battu les Fidjiens, les Australiens, les joueurs ont dit : ces victoires nous amènent de la confiance. Faux ! Seule la victoire avec panache compte, est respectable et nourricière.

La place pour le panache n’existe peut-être plus ?

Il faut voir. Mais la France est quoi, 5e ou 6e nation, là ? Et elle fait peine au monde ! Il n’y a plus de prise de risques depuis dix-douze ans, et depuis dix-douze ans elle voit le monde la déborder, le rugby évoluer ailleurs et le sien s’enfermer. À tel point que le potentiel de mouvement est nettement plus élevé chez les Springboks et les Anglais que chez les Français.

Source: L’équipe – Alex Bardot

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24 Commentaires

  1. Kirby 25 février 2015 à 15h- Répondre

    Il a tout dis! :yes:

    • Valescure220 25 février 2015 à 18h- Répondre

      il aurait même être plus bref en disant que le problème n’est pas technique mais tactique et là tout le monde aurait compris l’origine.

      • Kirby 25 février 2015 à 19h- Répondre

        Oui on aurait compris l’idée mais « tout le monde » aurait dit (ceux qui ne le connaissent pas) qu’il a pas d’argument, que c’est « petit ». Alors que là il explique bien le fond du problème et démontre bien le gros problème. Tu vois vraiment PSA répondre à ça ? Il peut rien dire car c’est toute la vérité 😉

  2. Tony 25 février 2015 à 15h- Répondre

    Je verdis ! +1000

  3. Beaujeuavantout 25 février 2015 à 15h- Répondre

    Son discours est très bien argumenter.

    En revanche, n’oublions pas que pour avoir du jeu il faut de la conquête. Le rugby est un sport de combat. Dans ce cadre deux écoles s’oppose: faire du jeu (avec l’alternance etc) ou être dans la conquête (Pick and Go etc, cf les Gallois contre l’Ecosse).

    Et cette différence on la voit entre le Toulon de l’année dernière et le Toulon de cette année par exemple. Wilko induisait que notre style de jeu était dans la conquête, derrière on récupérait des pénalités et son pied faisait le reste. Cette année on a Matt’ qui est plus dans le rugby de jeu. La force de Laporte c’est d’orienter le système de jeu de Toulon en fonction des joueurs.

    C’est dans ce projet collectif que les joueurs peuvent s’exprimer, ils prennent des risques en respectant le cadre.

    Or en EDF on fait un peu tout est n’importe quoi, un coup conquête, un coup combat, on change les joueurs etc Sur l’état des joueurs je suis 100% d’accord avec Herrero. Après, comme je le dis au dessus, je suis un peu plus critique (attention pour moi être critique ne signifie pas que je suis pour ou contre son point de vue).

    • pierrot-de-nice 26 février 2015 à 19h- Répondre

      pourquoi on a des stars internationales à tous les niveaux… En mêlées on s’est fait manger, en touche on se fait manger.. la 3eme ligne et les centres à part plaquer et défendre, ils ne savent rien faire d’autre.. la charnière on en a essayé 50 et ils ont jamais été bons.. les arrières et les ailiers on va tout de même pas les comparer à ceux des grandes nations ( alls black, Australie, Angletere) quand même.. donc Pour faire du beau jeu, il faut non seulement un pack qui avance et des lignes arrières avec des jambes de feu et qui otn un physique hors normes comme les nations qui sont devant nous… Si tu est pas bon, tu es pas bon… t’as beau les faire jouer n’importe comment… ils vont pas faire des miracles..!!!
      Après tentet pour tenter.. ils peuvent mais la vérité c’est qu’ils osent même plus de peur de se faire contrer.. il y a Zéro confiance..!!!

      • pierrot-de-nice 26 février 2015 à 19h- Répondre

        On a pas des stars internationales à tous les niveaux… En mêlées en touche on se fait manger.. la 3eme ligne et les centres à part plaquer et défendre, ne savent rien faire d’autre.. la charnière on en a essayé 50 et ils ont jamais été bons.. les arrières et les ailiers on va tout de même pas les comparer à ceux des grandes nations ( alls black, Australie, Angletere) quand même.. donc Pour faire du beau jeu, il faut non seulement un pack qui avance et des lignes arrières avec des jambes de feu et qui otn un physique hors normes comme les nations qui sont devant nous… Si tu est pas bon, tu es pas bon… t’as beau les faire jouer n’importe comment… ils vont pas faire des miracles..!!!

  4. Pomasson 25 février 2015 à 15h- Répondre

    Analyse simple évidente autant qu’édifiante.
    Daniel Herrero, celui qui par ses mots, sa faconde…et sa science du jeu savait faire chialer ses tueurs de la Rade.
    Il leur faut de l’âme à ces petits !
    Et ce n’est pas Droopy qui…

  5. tony 25 février 2015 à 16h- Répondre

    la france cherche un entraineur!!!! et bien le voici mes amis c lui le mec vertu,ecris,mots,et intello ,,,

  6. le doc 25 février 2015 à 16h- Répondre

    Je ne suis pas un adepte sectaire d’Herrero mais là , chapeau bas.
    Une analyse parfaitement construite et si pertinente.
    Si PSA et ses seconds, pouvaient comprendre au moins quelques brides de ce commentaire…hélas non!

  7. Luciiiiiio 25 février 2015 à 16h- Répondre

    Peut etre que quelqu un pourra repondre a cette question restee sans reponse: ou croiser monsieur daniel herrero ?

    Merci d avance meme si je n ai jamais eu la reponse.

    • lolo1963 25 février 2015 à 17h- Répondre

      si si !j’ai répondu la dernière fois 😉 il va à Porquerolles
      Mais ou il va souvent je ne le sais pas !!

  8. LECOMMANDANT 25 février 2015 à 16h- Répondre

    DU DANIEL HERRERO DANS LE TEXTE! On a pleuré de bonheur quand il entraînait notre RCT ; et après avec Jean-Claude BALLATORE! Ca c’était avant, du temps de la POESIE DANS l’OVALIE.Maintenant c’est comme pour la politique il faut un résultat à n’importe quel prix ou se « la raconter » quand on est des « pipes »! en s’imaginant que les supporters n’y comprennent rien et que seuls EUX détiennent la vérité

  9. Toulon 15 25 février 2015 à 17h- Répondre

    J’ai eu l’occasion a plusieurs reprises lors de « séminaires de sociétés » d’assister à des interventions de Daniel Herrero. J’ai toujours était impressionné par sa capacité à faire passer son enthousiasme à des gens qu’il ne connaissait pas 5 minutes avant de les rencontrer. C’est un grand monsieur qui est capable de galvaniser des foules. C’est d’ailleurs devenu une activité fort lucrative pour lui. Il est certain que dans le domaine du rugby de haut niveau qu’il connait particulièrement bien il serait capable de redonner de l’envie aux joueurs de notre équipe de France qui semblent émasculés par le carcan dans lequel les confine PSA et son entourage!

  10. starlette 25 février 2015 à 17h- Répondre

    quand un entraîneur ennuie,il est rare que l’équipe chante.
    ENOOOOOORME!!!

  11. Didier de Sète 25 février 2015 à 17h- Répondre

    Je suis d’accord quand il dénonce le carcan du jeux programmé qui bride complètement les joueurs. Attention toutefois au jeu pour le jeu, il a rarement des résultats, et comme on la vue récemment avec les gallois qui avaient un jeu tres « néozélandais » ils reviennent aux fondamentaux!! Le problème en général c’est que les défenses sont de + en + hermétiques,et le jeu dans le désordre demande d’etre tres supèrieure à l’impact donc de gagner les impacts et de jouer en avançant.

    De toute façon l’équipe a perdu ses 2 N°10 créatifs à savoir Trin Dhuc et Michalac, plus Picamoles en perforateur…je suis persuadé que leur retour (si PSA les sélectionnent) changeront le jeu du XV de France.

  12. Jil 25 février 2015 à 17h- Répondre

    Il n’y a rien a ajouter sinon le bader l’André .J’ai fait plusieurs stages avec ce grand Môssieu .Il me fait toujours rêver.
    Put…. s’il pouvait faire chanter le RCT !!!Il connaît la musique et les paroles….mais il y a quelques gus qu’il ne voudrait pas dans sa chorale

  13. figatellijean 25 février 2015 à 19h- Répondre

    Je le rencontre parfois au mourillon et il a tjours un vocaulaire chantant poete des mots il n hesite pas a dire ce qui ne va pas n etant pas un beni ouioui ds les joueurs qui ont du talent il ne cite pas basta se trompe t il reellement?

  14. Marcel 26 février 2015 à 07h- Répondre

    Autre époque autre moeurs mais pétard qu’est ce que çà fait du bien de le lire…
    Tout est dit, çà nous change d’avoir quelqu’un qui parle rugby, de vrai rugby et qui comprend quelque chose.
    Daniel tu nous manques

  15. eaglefoot 26 février 2015 à 10h- Répondre

    Bon, je résume : pas d’entraîneur et on s’en fout si on perd ! Mouais, c’est sympa à lire, c’est largement dépassé et faux pour les All Blacks (où tout est ultra normalisé) mais c’est rafraîchissant.
    De toute façon, le coup du « c’était mieux avant », en ce moment ça fait fureur partout :yawn: y’a pas de raison que le rugby y échappe…

    • Marcel 26 février 2015 à 13h- Répondre

      @ eaglefoot: ha ben si tu préfères t’ennuyer avec Ouin-Ouin c’est ton droit…
      Daniel a fait rêver des tas de toulonnais avec une équipe de toulonnais, mais c’est vrai que c’était une autre époque, celle des valeurs, du jeu, des rivalités… Pas celle de l’argent, du normalisme, et du mercenariat.
      Alors un peu de respect pour le bonhomme que tu n’as certainement pas connu.

  16. pascalou 26 février 2015 à 13h- Répondre

    Au point où on en est, on gagne pas , donc ça serait aussi bien qu’on joue avec panache.

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