Dans son édition de lundi, Midi Olympique consacre un long reportage sur l’interdiction des joueurs de rugby d’effectuer des paris sportifs dans leur propre sport.

Corentin Ségalen responsable de la lutte contre les manipulations sportives à l’Autorité Nationale des Jeux s’est longuement confié dans les colonnes du bi-hebdomadaire.

Il rappelle que les sportifs professionnels mais aussi les arbitres et les entraineurs ne peuvent pas parier. Extrait:

Vous avez raison de rappeler que les sportifs professionnels, les arbitres et les entraîneurs n’ont pas le droit de parier sur leur sport et qu’ils risquent des sanctions disciplinaires s’ils le font. La sensibilisation est un sujet qu’on a identifié comme prioritaire, dès janvier 2016, lors de la création de la plateforme nationale de lutte contre les manipulations sportives. Cette plateforme nationale est composée de deux volets.

L’un concerne la détection de paris suspects, les enquêtes, l’échange d’information. Le second touche à la prévention. Pour nous, c’est vraiment la base. Si on veut être efficace dans la lutte contre les manipulations sportives, il faut qu’on sensibilise tous les acteurs du sport, athlètes, arbitres, entraîneurs et leurs entourages. Nous menons donc des interventions, notamment à l’INSEP ou dans les Creps, en lien avec le ministère des Sports.

Il l’affirme : le rugby n’est pas le sport qui pose le plus de problèmes dans ce domaine. Extrait:

Nous avons des membres de la plateforme qui interviennent de temps à autre, mais le rugby n’est pas le sport sur lequel nous intervenons le plus aujourd’hui. Aujourd’hui, le rugby n’est pas le sport le plus à risque, mais il faut rester vigilants, car les joueurs parient de plus en plus… Le rugby, ce n’est pas le sport aujourd’hui qui est le plus touché par les cas de manipulation sportive au niveau mondial. On a quelques cas en Australie, Nouvelle-Zélande ou dans les îles du Pacifique. Mais pour l’instant, en Europe, nous n’avons pas de gros cas avérés de manipulation sportive.

Il explique pourquoi de plus en plus de cas litigieux existent depuis plusieurs années maintenant. Extrait:

Au moment de l’ouverture à la concurrence des Jeux en ligne en 2010, il y avait 448 millions d’euros qui étaient pariés chaque année. Cette année, en France, nous allons dépasser les 15 milliards d’euros de mises sur les paris sportifs ! En 15 ans, les mises ont été multipliées par 30 ! Or, les athlètes sont particulièrement à risque face à l’addiction. En 2016, une étude menée par « EU Athletes », le syndicat des athlètes européens montrait qu’un athlète avait quatre fois plus de chances d’être addict au jeu d’argent, notamment au pari sportif, qu’un citoyen lambda. Cette année, une étude réalisée par le Conseil de l’Europe avec la Fédération de football portugaise et avec la Fédération de football grecque a montré que le taux de prévalence, donc le risque de tomber addict pour un joueur est aujourd’hui fois 8 fois supérieur à la moyenne.

Il explique également pourquoi les athlètes sont particulièrement attirés par les paris sportifs. Extrait:

Les athlètes ont un gros esprit de compétition. Ils sont souvent seuls, loin de chez eux. Ils sont hyper connectés. Parfois, ils ont aussi un peu d’argent. Et c’est un public qui aime l’adrénaline. Ils sont experts dans leur sport. Ils ont donc une illusion de contrôle. Et donc, ils se disent, ah bah tiens, je suis un pro dans mon sport, je vais pouvoir gagner un peu d’argent et en parler avec mes coéquipiers. C’est comme ça que l’addiction au jeu d’argent arrive dans un vestiaire. Entre eux, ils parlent toujours de leurs gains et plus rarement de leurs pertes.

Nous avons eu quelques cas où un athlète est le bookmaker du vestiaire, il prend les paris pour tout le monde. Seulement, le problème, c’est qu’au bout d’un moment, l’addiction aux paris isole et personne dans l’entourage ne s’en rend compte. Contrairement à l’alcool ou la drogue, il n’y a aucun produit de substitution. Dans 100 % des cas, le joueur addict le devient après avoir gagné. Pas forcément une grosse somme – 500 ou 1 000 euros, mais suffisamment pour créer un shoot de dopamine. C’est ce shoot qu’ils souhaitent ensuite revivre.

Nous avons établi un lien étroit entre l’addiction d’un athlète et les affaires de manipulation de compétitions sportives. Dans de nombreuses affaires dans le football, volley ou encore basket, des organisations criminelles approchent les athlètes devenus addicts. Le deal, c’est : « je te rembourse ta dette de jeu mais en échange, tu vas faire exprès de prendre deux buts ou de rater tes tirs à trois points pour laisser gagner l’adversaire ».

Il donne quelques statistiques dans la foulée. Extrait:

Une étude récente qui a été faite par l’UEFA indiquait que 7 % des joueurs avaient un problème de jeu. Concrètement, ça veut dire que dans chaque équipe il y a au moins un joueur addict. En 2016, dans la population des athlètes professionnels, il y avait 4 fois plus de risques de devenir addict aux jeux d’argent que dans la population. Ça, c’était en 2016. Depuis, il y a quand même une explosion du nombre de paris sportifs vraiment très importante. En France, lors d’un croisement de fichiers avec la Ligue de football professionnel en 2019, nous avions détecté 30 cas positifs. En 2023, c’était 150 cas positifs. Il n’y a pas de raison que le rugby soit épargné.

Il dévoile ensuite la méthode pour repérer les joueurs qui effectuent des paris sportifs. Extrait:

En France, on a un dispositif qui s’appelle le coffre. Un coffre sécurisé. Dès qu’un compte joueur est ouvert chez un opérateur, tous les échanges d’informations sont enregistrés par l’ANJ. Et à la demande des fédérations ou des ligues, régulièrement, nous réalisons un croisement de fichiers. Les informations sont ensuite données à la fédération ou la Ligue en question qui va voir les cas positifs. Chaque cas est différent.

On peut voir si c’est la première fois, si ce sont des sommes importantes, si ce sont des gens qui ont parié sur leur propre match. Les sanctions sont prises en fonction de tous ces paramètres. Mais la loi oblige toutes les fédérations à mettre dans leur règlement intérieur l’interdiction de parier sur son propre sport pour les acteurs du sport. Les acteurs du sport, ce sont les athlètes, les arbitres, les officiels, les médecins, même parfois, ça peut être les bénévoles.