Toujours à la pointe de la stratégie rugbystique, les Springboks ont une nouvelle fois défrayé la chronique samedi dernier contre l’Italie.

Avec un coup d’envoi volontairement mal exécuté pour provoquer une mêlée d’entrée, et un lift en plein jeu courant, les champions du monde ont une fois encore démontré leur capacité à innover… quitte à flirter avec les limites du règlement.

En exclusivité pour Midi Olympique, Mathieu Raynal, ancien arbitre international et actuel responsable des arbitres du Top 14 et de la Pro D2, analyse ces séquences qui font débat.

Une action préméditée… et litigieuse

Dès le coup d’envoi, les Sud-Africains ont surpris leur monde. Esterhuizen, lancé cinq mètres devant la ligne, a déclenché une infraction volontaire. Derrière, la sanction attendue est tombée : mêlée en faveur de l’Italie.

Un choix paradoxal ? Pas tant que ça, selon Mathieu Raynal, pour qui l’objectif des Boks était limpide. Extrait :

« Sur le coup d’envoi, les Sud-Africains sont volontairement partis 5 mètres devant la ligne, en sachant que cela entraînerait une mêlée en faveur de l’adversaire. Mais c’est précisément ce qu’ils recherchaient. Ils sont très forts en mêlée, c’est un de leurs secteurs-clés, et ils préfèrent clairement cette configuration plutôt que de rendre le ballon à l’adversaire sur un coup d’envoi classique. »

L’analyse de l’ancien arbitre met en lumière la subtilité tactique de cette action. Extrait :

« S’ils avaient simplement tapé en touche, les Italiens auraient eu plusieurs options : demander une mêlée au centre du terrain, jouer une touche rapide, faire rejouer le coup d’envoi, ou prendre une touche à hauteur des 50 mètres. Autrement dit, les Sud-Africains n’étaient pas assurés d’obtenir une mêlée. Avec cette action calculée, ils maximisent leurs chances d’imposer leur point fort. »

Mais une violation du règlement selon Raynal

La manœuvre, bien que brillante d’un point de vue stratégique, enfreint selon Raynal un principe fondamental du jeu : l’interdiction de transgresser délibérément une règle pour en tirer un bénéfice. Extrait :

« Et la règle est claire sur ce point : lorsqu’un joueur part devant sur un coup d’envoi, la sanction est une mêlée. Mais c’est là que cela devient litigieux, car la règle 9.7 du règlement World Rugby interdit expressément d’enfreindre délibérément une règle du jeu. Et là, en l’occurrence, c’est bien ce qu’ils ont fait. […] À mes yeux, cela aurait donc dû être sanctionné non pas par une mêlée, mais par une pénalité contre eux. »

Un débat arbitral en coulisses

Mathieu Raynal a également échangé avec les officiels impliqués dans cette rencontre, dont Tual Trainini, arbitre vidéo sur ce Afrique du Sud – Italie. Extrait :

« C’est une situation qui surprend forcément un arbitre quand il n’y est pas préparé, surtout si c’est une action qu’il n’a jamais vue auparavant. Trouver la bonne réponse sur le moment n’est pas évident. »

Et l’avis n’était pas isolé sur le terrain, souligne-t-il. Extrait :

« J’ai d’ailleurs échangé avec Tual Trainini, qui était arbitre vidéo sur ce match. Il m’a confié que Matthew Carley, l’un des juges de touche, lui disait dans l’oreillette qu’il était favorable à une pénalité sur cette action. »

Et de conclure avec une anticipation lucide sur l’évolution du jeu. Extrait :

« À mon sens, au regard de la règle, en particulier la règle 9.7 qui interdit de transgresser délibérément une règle, cette action doit être sanctionnée par une pénalité. J’imagine donc qu’il y aura une réponse ou un éclaircissement de World Rugby à ce sujet. En tout cas, c’est une situation qu’on reverra peut-être à l’avenir, mais sans doute pas sous cette forme-là. »

Une innovation de génie ou un précédent dangereux ? La balle est désormais dans le camp de World Rugby.