Jonny Wilkinson se confie sur sa nouvelle vie et sa quête de la perfection
Jonny Wilkinson se confie sur sa nouvelle vie et sa quête de la perfection
Le dimanche 15 février 2015 à 15:58 par David Demri
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Lors d’un long entretien accordé à L’équipe Magazine, l’ancien ouvreur du Rugby Club Toulonnais, Jonny Wilkinson s’est confié au sujet de sa nouvelle vie et l’après rugby.
Il évoque également la quête de la perfection qu’il avait en tête chaque jour de sa carrière.
Interview très intéressante à lire ci-dessous:
Comment est organisée votre nouvelle vie ?
Je vis à 60 km du sud de Londres, dans le Surrey, où j’ai grandi enfant. Et je m’essaye à cette nouvelle vie, à ce quotidien sans le ballon dans les mains, sans les coéquipiers autour, sans le vestiaire, sans la pression, sans tout ce qui était ma vie depuis l’âge de 17 ans. Et c’est bizarre.
L’extrême exigence que vous aviez vis-à-vis de vous-même, vous en avez fait quoi ?
Je suis en train d’essayer de la maîtriser. Car lorsque je n’ai pas de choses intenses à faire, c’est dangereux pour moi. Quand je jouais, il y avait beaucoup d’intensité dans l’entraînement, mais à partir du mercredi soir, il y en avait beaucoup moins et ça devenait compliqué pour moi. Le jeudi et le vendredi, j’étais nerveux, très angoissé, car je passais beaucoup de temps confronté à mes obsessions: « Qu’est ce que je dois faire pour gagner ? Et si telle situation arrive… » En équipe d’Angleterre, la première fois que Clive Woodward m’a dit: « Cet été, tu vas te reposer, tu ne partiras pas en tournée », je me suis perdu dans la tête juste parce que je ne savais pas comment gérer toue l’énergie et les pensées qui m’arrivaient. Et quand j’étais blessé, là, c’était horrible… Ma carrière, ça a été cette bataille entre le côté positif de mes obsessions qui me poussait à toujours chercher le plus loin possible pour faire mieux, et le côté négatif qui était la peur de regarder en bas et de tomber.
Et maintenant ?
Maintenant, ces pensées se sont tournées vers l’intérieur. Mais je passe beaucoup de temps à la salle de musculation pour dépenser de l’énergie. Je m’entraîne toujours.
Mais Jonny, c’est fini, il n’y a plus de matches ! Vous êtes libéré du poids du résultat, de cette peur de tomber du sommet…
Oui, je suis libéré. Maintenant se pose pour moi la question de mon prochain objectif. Physiquement, psychologiquement, spirituellement, émotionnellement, je veux encore progresser. C’est très important pour moi, car dans tout ce que je fais il faut que j’avance. Ça, c’est le challenge de tout un chacun quand il sort d’un certain environnement. Et le rugby, c’est un environnement très spécifique. Il me faut trouver mon propre chemin.
La différence, c’est qu’auparavant il y avait le match le dimanche qui venait valider votre travail de la semaine. Ce n’est plus le cas…
Heureusement, j’ai souffert d’être blessé et donc inactif parfois longuement. Je me suis donc préparé à cela. Si je n’avais pas connu ces périodes douloureuses, je serai aujourd’hui en grande difficulté. Pendant quatre ans, j’ai beaucoup souffert psychologiquement, mais j’ai appris comment vivre, comment contrôler l’interrupteur pour allumer et éteindre mon côté obsessionnel. C’est pour cette raison que je suis plus à l’aise aujourd’hui. Si vous me dites, on doit aller à la salle de muscu faire une séance super dure, alors je mets l’interrupteur sur « ON ». Si vous me dites, on va rester ici à discuter, pas de problème, j’appuie sur « OFF ».
Cela se passe donc mieux que vous ne l’appréhendiez, ce saut dans le vide de l’après-carrière ?
Avant, quand je devais m’arrêter pour une blessure, je savais que dans un mois, six mois, une saison, il y aurait au bout, un autre match. L’arrête de ma carrière signifiait qu’il n’y aurait plus de match, que c’était le vide, le noir. Mais j’ai compris qu’être joueur de rugby, ce n’était pas mon identité, c’était juste un rôle. Un rôle que je jouais avec un grand plaisir, mais juste un rôle. Maintenant que c’est fini, je poursuis mon chemin, avec toutes mes valeurs. Et mon rôle est tout aussi important que quand je jouais. Et ça, je ne l’avais pas saisi avant. Je croyais que le rugby donnait de la puissance parce qu’il fait de vous une personne connue, qui joue pour l’équipe d’Angleterre. Et donc que, sans ça, je n’étais rien. Rien que du vide.
Et aujourd’hui, vous avez réalisé que cette puissance se situait ailleurs ?
Exactement, j’ai compris que la puissance était en fait dans notre capacité à faire certaines choses. Même lorsque l’on s’assoit en haut d’une colline à contempler le soleil. J’ai beaucoup de respect pour les gens qui arrivent à faire ça, je pense qu’ils sont plus forts que moi car je n’y arrive pas. De la même manière, quand je vois ce que font Matt Giteau ou Frédéric Michalak avec un ballon, je me dis que ça, c’est puissant. Mais travailler tard le soir pour nourrir sa famille, ça aussi c’est puissant. Ou jouer de la musique. Tout le monde a un potentiel et on ne peut dire de quelqu’un qu’il est plus important que l’autre simplement parce qu’il est connu. C’est une erreur de croire que l’on est plus puissant que les autres parce qu’on nous regarde.
Vous ne vivez donc pas avec le souvenir de ce que vous avez été ?
C’est magnifique de rencontrer d’autres joueurs et de parler de ce qui a été fait. Mais la vie continue d’avancer. Et si tu as l’habitude de regarder derrière, tu rates les choses qui sont devant toi. Quand j’étais plus jeune et que j’étais blessé, tout ce que je voulais, c’était que les gens disent chaque semaine: « il faut qu’il revienne, on a besoin de lui ». Et quand ils arrêtaient de le dire, je me sentais inutile. Mais c’est une leçon, car même si tu as joué pendant 18 ans, quand tu t’arrêtes, dès la semaine suivante, les gens portent sur attention sur les joueurs qui jouent. Et ils ont raison. Tu n’es pas oublié, tout ce que j’ai fait, tout ce que Joe Van Niekerk a fait, ça appartient à l’histoire de Toulon. On a tous apporté notre petite contribution au travail de tout le monde, et c’est suffisant. Le succès passe. Mais aussi les échecs. Je me suis considéré comme perfectionniste, mais dès le premier jour de ma carrière, j’ai raté des choses, des coups de pied, je n’ai donc jamais atteint la perfection. Je me considérais comme un exemple, mais c’était vain car dès le moment où je suis né, j’ai échoué dans cette volonté d’être parfait.
Vous voulez dire que vous réalisez aujourd’hui que la perfection n’est pas de ce monde ?
Oui. Je me réinventais chaque lundi matin comme perfectionniste. J’analysais le match et je repartais dans cette quête dans laquelle forcément j’allais échouer.
Et les minutes qui précédent le match, elles ne vous manquent pas ?
Je n’ai plus le désir du jeu. En revanche, le partage d’une équipe… Dans ces deux dernières minutes, j’avais une dépendance à l’égard des autres, un besoin à travers les regards de savoir que tout le monde voulait la même chose. Que le respect était partagé. Et de se dire, sincèrement, à cet instant-là, qu’on était tous frères. Pas parce que l’on s’aimait, mais parce que pour réussir on savait qu’il était plus important de tout faire les uns pour les autres que pour soi-même. Or, dans la société, ce n’est jamais comme ça. La pression de la vie nous oblige à penser à nous-mêmes.
C’est un moment en marge de la vie ?
Pour avoir la garantie de réussir individuellement, il faut au préalable avoir aidé les autres. A Toulon, je voulais les titres, je voulais trouver ce qu’il y avait de mieux en moi. Mais ce n’est pas mon rôle d’aller trouver ce qu’il y a de mieux en moi, c’est le rôle de mes coéquipiers. Et moi, de mon côté, mon rôle était de trouver ce qu’il y avait de mieux en eux. Si tout le monde est en harmonie, alors tu auras ce que tu espères. C’est ça, l’ordre des choses. Fais tout ce que tu peux pour les autres, et alors viendra ce que tu cherches pour toi. Mais ça, c’est très dur à obtenir.
C’est le but de votre engagement dans le staff du RC Toulon ?
Je ne travaille pas sur le collectif, je travaille individuellement avec les joueurs. J’essaye d’abord de les comprendre. Et pour les comprendre, il faut les connaître. Je passe du temps à discuter, à les questionner et à écouter ce qu’ils font, ce qu’ils aiment. Pour aller chercher le meilleur d’un individu, il faut savoir qui il est. Si quelqu’un vient me voir et me dit qu’il a un problème avec ceci ou cela, jamais je ne me laisserais aller à considérer une question comme stupide. Durant ma carrière, j’avais l’impression de me poser des questions stupides, parce que je pensais que j’étais le seul à vivre les choses comme ça.
Donc vous ne partagiez pas vos problèmes ?
Non, je me disais: « Ils vont penser que je suis fou si je leur expose mon problème. » C’est pour cela qu’aujourd’hui je me refuse de juger quand on me pose une question. C’est à moi, au contraire, d’interroger la personne, pour voir si on a des choses en commun dans ce qu’on a vécu et ainsi voir comment je pourrais l’aider. Je ne dis pas: « Tu dois faire comme ça ». Je peux simplement raconter comment ça s’est passé pour moi dans les mêmes circonstances. Je n’ai pas l’autorité pour donner des leçons. En revanche, partager des choses, c’est la meilleure manière de vivre, mais aussi de faire avancer l’autre vers ce qu’il souhaite.
C’est de la transmission par l’échange ?
La technique, les gestes qui pour moi sont bons, je les transmets. Mais ensuite, la plus grande erreur dans le sport, c’est d’oublier l’aspect émotionnel. Comme, par exemple, lorsque tu fais une séance vidéo. Tu t’arrêtes sur une image et tu dis au joueur: « Pourquoi tu n’as pas fait ce geste-là ? » Mais en fait, quand tu analyses, tu n’est pas dans une situation réelle, tu ne juges pas l’action dans les conditions où le joueur l’a appréhendée, quel était le score par exemple… Ensuite, il te faut en plus focaliser sur l’individu: comment était-il personnellement ? Et tout ça c’est inclus dans son geste. On n’est pas à l’école, où l’on propose une leçon, la même pour tout le monde, ou dans une usine où tout le monde doit accomplir la même tâche. En sport, il n’y a pas d’uniformité.
Les livres sont-ils une source d’inspiration ?
Oui, je lis des livres de spiritualité, des biographies… Durant ma carrière, notamment pendant la période où j’étais blessé, j’ai été marqué par les démarches spirituelles, notamment le bouddhisme, et ça m’a sauvé la vie. Ce que j’aime comprendre, c’est comment des grands personnages ont effectué leur chemin. Par exemple, Zinédine Zidane est quelqu’un que je respecte énormément. Je m’interrogeais quand je le regardais jouer: « Qu’est ce qu’il a en tête à ce moment-là ? Comment en est-il venu à réaliser ce geste à cet instant-là ? » Car ce qu’on voit de lui, c’est le résultat. Mais qu’est-ce qu’il y a eu dans sa vie pour qu’il parvienne à ça ? Ce qui est intéressant chez les gens comme lui, ce n’est pas tant le résultat que la façon dont ils sont arrivés à ce résultat. Ce qu’a été leur voyage.
Et comment le voyez-vous ?
On n’est jamais tout seul. Même un golfeur n’est pas seul dans son exercice. Le joueur de tennis est face à quelqu’un, dans une entreprise tu n’es pas seul. On pense parfois qu’on est seul au monde, mais on ne l’est jamais vraiment. Il y a toujours une interaction avec autrui Plus vite on s’aperçoit de ça, plus vite on aura des résultats. Le voyage pour aller d’un point A à un point B, même pour des gens très connus, n’est jamais linéaire. Ce n’est jamais une progression régulière, on connaît des hauts et des bas. Ce que je veux chercher chez les autres, c’est ce qu’ils ont découvert dans leur vie pour mener leur chemin. Ça m’obsède.
Vous étiez un sportif de haut niveau visait des titres, aujourd’hui vous visez quoi ?
Imaginons qu’il y ait une grande colline. A tous les gens qui la gravissent, vous leur dite: « Vous verrez, au sommet, il y a une vue magnifique. » Ils vont cheminer, admirer la nature, mais une fois arrivés en haut, il n’y a rien de particulier. Alors tu dis: « il n’y a rien, c’est vrai, mais c’était bien ce chemin non ? » Avoir un objectif, même si on ne le réalise pas, ça nous motive chaque seconde durant ce voyage. Aujourd’hui, quand je me lance dans quelque chose, je veux être le meilleur, alors que je sais qu’il n’y a pas de meilleur. Mais essayer de l’être, c’est le chemin pour atteindre le sommet de la colline. Et au sommet, quand je vois qu’il n’y a rien, eh bien je vais regarder une autre colline et me dire qu’il y a peut-être quelque chose au sommet de cette autre colline. Et je continue.
Mais Jonny, c’est épuisant ça !
Non, c’est l’inverse. Si tu penses qu’il y a toujours quelque chose là-haut sur la colline, ce n’est jamais épuisant. Quand tu es complètement investi dans cette démarche, alors il n’y a plus de travail, il n’y a plus de peine. Ça devient naturel. Pendant ma carrière, la seule idée positive pour moi, c’était le travail. Au fond, je ne voulais pas être heureux car j’avais trouvé un ami fidèle dans la dépression, j’étais bien avec ma tristesse. Et puis un jour on m’a dit: « Tu penses toujours à travailler dur sans envisager qu’une option plus facile pourrait, de temps en temps, être aussi une bonne option ». Je n’étais pas à même de l’entendre parce que pour moi, si j’étais heureux, cela voulait forcément dire que je n’avais pas fait le travail comme il fallait. Je ne comprenais pas que c’est le contraire. Que quand tu arrives à être heureux dans le travail, tu ne le perçois plus comme un travail. Et qu’alors, il n’y a plus de souffrance.
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Merci Monsieur
Quel MEC , tu nous manque Jonny !
un peu torturé le personnage ? pas toujours COOL !
Là encore c’est rien. J’ai lu sa biographie et en gros c’est cette interview sur 440 pages. Personnage indéniablement attachant mais par moment t’as aussi besoin d’aspirine en le lisant…
Wilkinson, la perfection au masculin !
Ah non, ce slogan est déjà utilisé par le concurrent Gillette ! 😛
Jonny Wilkinson est un grand bonhomme… fou, mais (très) grand.
La perfection n’existe pas, certes.. mais lui, a croisé notre chemin, et surtout celui du RCT… quelle chance et bonheur, tout de même !!
C’est fort, d’être capable de faire vivre tant d’émotions aux autres.. puissant, de pouvoir fédérer autant monde… un bel hommage, au passage, à ce cher captain Joe, à qui nous devons tant également.
Merci, tout simplement. :yes: :yes: :yes:
Oui, un très grand bonhomme, une grande modestie qui place l’humain au centre de l’essentiel et qui tire la leçon de sa carrière : il y a une vie après le rugby. Jonny sera toujours le bienvenu sur la rade.
Euh di il devenait papa , je pense que peut être ca le calmerait un peu le garçon…
Je suis persuadé que pour être le meilleur dans sa partie, et surtout lorsqu’il s’agit de combat, il faut penser et agir différemment.
S’il n’avait pas été autant insatisfait, il n’aurait pas été surhumain.
Tant mieux pour nous!
Maintenant il doit accepter de ne pas lutter pour devenir parfait.
Je pense qu’il devrait demander conseil à PSA.
PSA inversement proportionnel à WILKINSON … cétou
Un grand bonhomme. surement assez torturé mais God Jonny tu viens quand à Toulon à plein temps. Je suis certain qu’un jour tu deviendras un très grand entraîneur car tu t’occupes du bonhomme avant tout. en haut de la colline(le Faron) tu trouveras le bonheur.
Merci gars en tout cas pour tout ce que tu apportes aux autres. et continue de douter car c’est comme cela qu’on avance.
Respect Monsieur Jonny
Eric.
Pilou Pilou
Jonny et la quête du graal. Celui qui cherche le graal même s’il ne trouve pas sera un autre homme, un homme riche d’expériences.
Sa femme ne doit pas rigoler tous les jours
T’inquiète pas pour elle, crois-moi !
Jonny ne fait pas partie des hommes ordinaires, auprès desquels il va passer pour fou ou torturé…
C’est un être d’une grande profondeur.
La vie, il la questionne… Il trouve certaines réponses.
Sont-elles les bonnes ? Il ne cessera de chercher.
Ce Questionnement, sa Queste (du Graal comme dit plus haut mais on l’appelle comme on veut), c’est le but de l’Homme de toute éternité.
C’est en cela que Jonny est un grand Homme.
Allez Toulon…
T inqietes c est pas gandhi quand meme qui suis je ou vais je ou dans quel etat j erre tout le monde se pose la question amendonne
respect M.jonny Wilkinson,merci pour ce que vous avez donné et que vous continuer à donner au RCT,je suis sur que l’aventure se poursuivra un jour.
Jonny Wilkinson, tout comme Roger Federer, sont les deux grands gentlemen du sport mondial. Ils ont fait l’unanimité autour d’eux.
Chapeau bas