La passe au contact et celle après contact semblent être devenues les clés indispensables pour être performant dans le jeu actuel. C’est certainement vrai mais je modulerais mon propos en disant, en partie seulement. Ce qui me fait réagir, c’est un article sur la performance de Sonny Bill Williams lors du match de Twickenham entre les Crusaders et les Sharks, où sont vantées, à juste titre, les qualités de ce joueur capable, quelles que soient les situations, de trouver une solution technique, quelque fois peu orthodoxe, qui permet au jeu de se continuer favorablement au profit d’un partenaire sans pour autant passer par le sol. Et si c’est le cas ,il devient tout aussi capable de transmettre la balle au soutien sans provoquer pour autant un arrêt du mouvement du ballon plus ou moins long qui, favoriserait alors le replacement défensif des adversaires.

Dans cet article les raisons de la performance de ce joueur « au contact de l’adversaire » sont diversement exprimées et ne sont pas fausses mais ne prennent en compte que la partie visible du comportement du joueur, celle qui valorise sa gestualité de l’instant relativement à la puissance qui va avec. Pas faux, mais, cela me semble insuffisant pour expliquer le pourquoi du jeu performant de ce joueur

J’ai mieux aimé les explications du joueur lui-même. Il donne de sa performance une interprétation qui touche à la qualité du soutien de ses partenaires et à sa volonté de garder la dynamique du jeu « en mouvement ». Le geste technique aussi sophistiqué soit il n’étant qu’une réponse dictée par le jeu situationnel, donc adaptée , puisqu’il déclare qu’il « ne travaille pas ces gestes. »

Mais j’aime encore mieux l’explication d’une « spécialiste de la vision » qui parle de la qualité de la « prise d’information globale » de ce joueur. Cette vision n’est, dit-elle,  pas « uniquement latérale ou frontale. » Elle est bien plus large et je cite « optimise sa prise de décision ». Il s’agit bien dans le contexte du mouvement existant de gérer, le pourquoi du jeu produit (le sens donné à la situation à réaliser), le sens situationnel précède bien le comment de la réalisation (la gestualité). Il convient bien alors d’accorder de l’importance non pas seulement à ce que ce joueur fait techniquement mais bien au dialogue que ce joueur entretient avec le contexte momentané du rapport de force Attaque – Défense auquel il est confronté .

Les capacités actuelles de ce champion ne sont pas surgies toutes seules et pas davantage venues de nulle part. Elles sont la conséquence de toute la culture du joueur, y compris le jeu à 13 dont il est issu ,mais tout en même temps le jeu produit aujourd’hui dans l’hémisphère sud, en équipe nationale, dans son club et partout il peut s’appuyer sur un esprit du jeu particulièrement favorable . Cela lui permet de s’exprimer sans contrainte ni réserve puisqu’il ne s’agit pas de réciter ce que l’on a appris mais bien de créer la solution adaptée aux problèmes tactiques rencontrés et d’y greffer la technique adéquate et non pas l’inverse. L’accumulation des expériences, avec son lot de réussites et d’erreurs, l’amènera toujours plus à faire face avec le maximum de confiance aux situations rencontrées, y compris les plus incertaines et ainsi d’oser au final de l’action, dans le cadre d’une activité mentale et motrice ininterrompue, un geste qui apparaîtra impossible pour les autres.

C’est aller à la recherche d’un jeu adaptatif supérieur qui lui permet d’utiliser avec à propos ses qualités physiques. Il devient alors capital de saisir que le désir est déterminant pour que la double voie, celle de la réussite et celle de l’erreur soient exploitées, et deviennent complémentaires. Jouer signifie prendre des risques, la compétition et l’entrainement consistent ainsi à accumuler les expériences. Celles-ci vécues avec les partenaires, dans le même état d’esprit, quand on y partage les mêmes références. Il devient alors plus facile d’aller vers la même représentation du jeu à faire donc vers le partage de sa signification tant globale que particulière. C’est sans doute aussi pour cela que SB Williams « brille grâce à la qualité de ses soutiens. »

Ce partage de sens, s’ il est vécu dans les situations d’entrainement, se réinvestira d’autant plus facilement dans la compétition puisqu’on aura appris à jouer collectivement avec les aléas, c’est aussi une manière de faire accéder les joueurs à plus d’autonomie.

Créer ce type de joueur, le construire , ne peut se faire avec le traditionnel modèle de l’exercice, celui qui vise à toujours mieux maîtriser les détails en pensant le conduire progressivement à l’expertise. Il s’agit bien d’aller vers une autre approche qui propose des situations, des problèmes orignaux, entraînant des initiatives amenant la recherche de réponses de mieux en mieux adaptées. Il ne s’agit donc pas de fixer des gestes (ce qu’exprime bien Sonny Bill Williams) mais bien de vivre les situations originales jamais identiques. Celles qui placeront le joueur face à ses responsabilités, et généreront des solutions créatives.

Est-il si absurde de comparer Didier Codorniou et Sonny Bill Williams. Quitte à paraitre dépassé, je dirais non ! Leur l’efficacité à l’un comme à l’autre serait à restituer dans le processus de perception et d’analyse de la situation de jeu et donc de la solution mentale à y greffer. Ils s’y comporteraient certainement différemment vu la différence de potentiel physique, mais cela ne veut pas dire que l’un serait moins efficace que l’autre dans la réalisation globale de l’action face au même objectif, celui de préserver le mouvement du ballon et l’avancer qui va avec. Tout un art qui trouve son explication ailleurs que dans la technicité sans pour autant l’exclure.