À travers les décennies et les sélectionneurs, la prétendue malédiction des demis d’ouverture sévit encore et toujours. À l’inverse, le poste de demi de mêlée a régulièrement enfanté des talents rares et précieux, des artistes durablement engoncés dans leur fauteuil d’orchestre : du Petit Mozart Richard Astre à Dimitri Yachvili en passant par le Petit caporal Jacques Fouroux, Pierre Berbizier ou Fabien Galthié. L’ère Philippe Saint-André marque à cet égard une fracture historique.

Une statistique interpelle et marque les esprits : au-delà des six ouvreurs utilisés depuis 2012, le sélectionneur a vu et revu huit numéros 9. Tout un symbole des errances et errements des Bleus depuis trois saisons. Sur le Tournoi des 6 Nations actuel, une même instabilité règne avec trois titulaires différents. Les blessures successives de Sébastien Tillous-Borde, Rory Kockott puis Morgan Parra expliquent cet état de fait, d’un point de vue conjoncturel. Sans parler du rappel hautement symptomatique de Maxime Machenaud après le forfait d’un ouvreur, Camille Lopez… Derrière cette malchance du moment – excuse numéro un du sélectionneur, il n’en reste pas moins un problème de fond, indubitable. En trois saisons et trente-six test-matchs, aucun des huit demis de mêlée expérimentés ou relancés ne s’est imposé comme un métronome incontesté et incontestable, régulier sur la durée.

« UN PROBLÈME DE TECHNIQUE INDIVIDUELLE »

À qui la faute ? Aux hommes ? Au système ? Aux décisionnaires ? Lilian Camberabero, demi de mêlée des Bleus lors du mythique grand chelem de 1968, partage les responsabilités entre acteurs et décideurs.

« Le XV de France n’arrive pas à installer un numéro 9 durablement car il manque d’un fond de jeu et d’un système bien établis et clarifiés. Il y a notamment toujours un temps de retard pour donner de bons ballons au demi de mêlée », analyse le Landais d’origine. Parallèlement aux limites du collectif, la formation française et les aptitudes des individus ne restent pas exemptes de tout reproche. Loin de là : « Il y a aussi un problème de technique individuelle. On aura beau avoir des gars rapides et costauds, s’ils n’ont pas de technique individuelle, il ne sera pas possible de gagner beaucoup de matchs. J’ai les cheveux qui se hérissent quand je vois les demis de mêlée se baisser pour ramasser le ballon dans un regroupement, faire un pas puis armer leur passe. Cela montre qu’on ne leur a jamais appris à faire une passe vissée sans armer. Ces limites ont été perceptibles notamment contre les Gallois. Elles sont dures à corriger car cela se travaille entre 8 et 15 ans avant tout. »

En attendant de se pencher longuement sur la problématique de la formation à la française, une question nécessite une réponse : qui mènera les Bleus en Angleterre ? « À mes yeux, un demi de mêlée est au-dessus des autres : Morgan Parra. Il commande bien et est écouté, il fait jouer et a travaillé sa passe. Il a vraiment franchi un palier. » Et derrière, entre Rory Kockott et Sébastien Tillous-Borde, les deux spécialistes actuellement valides ? Lilian Camberabero miserait sur le Sud-Africain. Et Philippe Saint- André ? Le sélectionneur semble n’avoir pas tranché, entre le Varois, plus régulier, plus propre, et le Castrais, buteur, davantage considéré comme un impact player, un dynamiteur. Les prestations des deux candidats, samedi, à Twickenham, apporteront un élément de réflexion supplémentaire au sélectionneur, à deux mois de l’annonce de la première liste pour le Mondial.

Source: Midi Olympique