Mourad Boudjellal: « Ce n’est pas la peine de leur rajouter des étrangers en plus… »

Mourad Boudjellal: « Ce n’est pas la peine de leur rajouter des étrangers en plus… »

Le vendredi 28 mars 2014 à 13:06 par David Demri

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mourad_boudjellal_04012012Connu pour ses sorties médiatiques, Mourad Boudjellal maîtrise l’art du placage. Le président du Rugby-Club toulonnais, champion d’Europe en titre et vice-champion de France lors des deux précédentes saisons, a décidé d’annuler le match amical prévu en juillet sur le terrain de l’AS Béziers (Pro D2), si le candidat soutenu par le Front national remportait la mairie de la ville héraultaise dimanche prochain.

Cette décision, le dirigeant de 53 ans l’a prise le dimanche 23 mars au soir. Une manière de protester contre le score obtenu (44 % des voix) à Béziers par Robert Ménard au premier tour des élections municipales dans cette ville.

Vous avez annoncé au Midi libre, jeudi 27 mars, votre volonté d’annuler la venue des stars toulonnaises à Béziers pour un match de gala prévu l’été prochain. Pour quelle raison ?

L’idée m’est venue dimanche soir [23 mars], quand j’ai vu arriver les résultats du premier tour aux élections municipales. Si Ménard est bien élu au second tour [30 mars], je n’ai pas envie que mon équipe dispute un match amical dans cette ville. Je me dis que puisque les gens de Béziers votent pour le candidat soutenu par le Front national, ce n’est pas la peine de faire venir mon équipe exprès pour un week-end et de leur rajouter des étrangers en plus… Surtout vu le score de Ménard au premier tour : 44%, ça m’a interpellé, quand même. J’aurais peut-être agi différemment si ce score avait été moins élevé.

A l’origine, l’organisation de ce match amical était pourtant une proposition de votre part.

Oui, bien avant les municipales, il y trois ou quatre mois, j’avais proposé au président de l’AS Béziers de faire venir chez lui mon équipe au complet, en juillet, pour organiser dans son stade notre premier match amical de la saison prochaine. Je suis un nostalgique de ce club tel que je l’ai connu gamin, et je voulais simplement que Toulon lui donne un coup de booster. On aurait laissé toutes les recettes de billetterie. On serait venu avec tout le monde, les Wilkinson [Angleterre], les Habana [Afrique du Sud]. On aurait rempli le stade sans problème, d’autant que Béziers est une terre de rugby.

Que vous a répondu votre homologue biterrois, Cédric Bistué, quand vous l’avez informé de votre revirement ?

Il m’a répondu qu’il était désolé de ma décision, mais qu’il la comprenait. Vous savez, j’ai construit une équipe multiraciale, j’ai une philosophie de vie qui fait que le monde est un. Quand on me dit qu’un étranger a faim en France, c’est le mot « faim » que je retiens et qui me préoccupe. Pas le mot « étranger ». Or, qu’on le veuille ou pas, dans le vote Front national, il y a la volonté de stigmatiser des coupables. En 1995, quand le FN s’est installé à la mairie de Toulon, je suis allé sur la place de la Liberté pour assister à la visite de Jean-Marie Le Pen. Je voulaiscomprendre. Toute la foule s’est mise à ne crier qu’une chose : « la France aux Français ! ». Ça m’avait marqué. En 1995, pour moi, la claque était d’autant plus grande que je m’étais occupé de la communication du Parti socialiste pour cette élection-là. Maintenant, je ne m’investis plus autant en politique. Pour la présidentielle de 2012, je me suis abstenu, par exemple.

Aviez-vous déjà rencontré l’ancien maire FN de la ville, Jean-Marie Le Chevallier ?

Peu après son élection, Le Chevallier avait demandé à me voir, il avait fait un travail d’approche. En mairie, il m’a alors proposé de passer à Saint-Cloud chez Jean-Marie Le Pen [fondateur du FN], qui rencontrait souvent Alain Delon pour boire du whisky. Je lui ai répliqué que je n’aimais ni le whisky ni Jean-Marie Le Pen et que je n’aimais plus Alain Delon. A la suite de quoi, toutes les commandes des bibilitothèques de Toulon pour acheter des bandes dessinées à ma librairie avaient été immédiatement annulées…

Le FN a dirigé la préfecture varoise jusqu’en 2001. Cette année-là, Jean-Marie Le Chevallier fut condamné à un an de prison avec sursis pour détournement de fonds publics…

Pendant toutes ces années, Toulon a été une ville morte. Une ville où les habitants ne se parlaient plus et se montraient suspicieux. Des clans existaient. On n’allait plus dans certain magasin parce que l’on soupçonnait ses propriétaires d’avoir voté FN, etc. Et puis, quand Hubert Falco a pris le contrôle de la ville et succédé au FN, Toulon était surendetté. La ville a dû être mise sous tutelle. Une forme d’immobilisme s’était installée.

Encore aujourd’hui, en 2014, je reçois une à deux lettres anonymes par semaine où je me fais trater de « sale arabe », de « sale melon ». J’en ai tout un tas, je pourrais en faire un bouquin. Pour tout vous dire, je n’ouvre même plus les lettres qui n’ont pas d’adresse au dos.

Ce climat de défiance a-t-il déteint sur le public du stade Mayol ?

Je me souviens surtout que certains supporteurs de Toulon se plaignaient, à l’époque, d’être assimilés à des fachos quand ils se baladaient dans tous les stades de France. Même si, eux, n’avaient pas voté Front national…

Quel rôle peut jouer votre équipe de stars, deuxième du Top 14 derrière Clermont, pour lutter contre le Front national ?

A la suite de la période FN, il a fallu la première remontée de notre club de rugby en Top 14, en 2005, pour enfin revoir une fête dans la ville. Les habitants communiaient à nouveau entre eux. Je n’étais alors qu’un supporteur et un partenaire du club [par le biais de sa maison d’édition], mais ce qui donné envie de prendre la direction du club un an plus tard.

Considérez-vous le rugby comme un levier efficace pour intervenir dans le débat politique ?

De levier efficace, à mon avis, il n’y en a qu’un seul : le retour de l’emploi. Quand les gens retrouveront du boulot facilement, ils seront moins tentés par les idées du FN. Le rugby n’est qu’un petit levier, une goutte d’eau. Mais un ensemble de gouttes d’eau, ça peut faire une bouteille pleine. J’ai déjà fait des débats contre Louis Aliot ou Marine Le Pen. Avant d’être une absurdité économique, le programme du FN contient surtout des messages hallucinants contre l’avortement et l’immigration. Vraiment, je pense qu’il ne faut pas banaliser le Front national. Ce parti a gagné en respectabilité, mais si un jour ils arrivaient au pouvoir au niveau national, ce serait comme Jim Carrey dans le film The Mask. Ils enlèveraient le masque et là, on verrait…

Moi, je préférerais un jour être champion de France dans un monde où le programme du FN ne serait pas appliqué. Et puis ça se serait trop compliqué, demain, de devoir revoir toutes mes grilles salariales en francs !

Source: lemonde.fr

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