La barbe est toujours aussi drue, et Yoann Huget, qui passe à proximité, s’amuse à tirer dessus. Ce mercredi matin, Xavier Chiocci est assis sur un fauteuil à l’ombre, sur la terrasse du Domaine de Falgos. Le dos bien droit, il se penche en avant, pose un regard attentif, choisit et compte ses mots. Souvent, il sourit avec les yeux, comme une preuve que du temps a passé depuis le stage de Tignes. Voilà trois semaines, lui et quelques-uns de ses coéquipiers avaient mal avalé un article paru sur le site Internet de L’Équipe où il était raconté que le pilier toulonnais (25 ans, 3 sél.) s’était arrêté en plein milieu d’une terrible séance de courses. « Je ne trouve pas ça correct  », s’était emporté Mathieu Bastareaud en conférence de presse. Parce que le sous-entendu involontaire était que Chiocci manquait de caisse. Voire ne poussait pas les efforts. Alors que c’était en fait une douleur à une cuisse qui l’avait arrêté. « Je l’ai mal pris  », avoue-t-il aujourd’hui, sans étaler de rancune.

Si le sujet est sensible, c’est que les critiques ont souvent visé l’endurance du Varois et, par ricochet, son manque de boulot dans ce secteur. Au moment du stage à Tignes, il était au contraire en pleine dynamique de travail, poursuivant un cycle entamé l’hiver dernier. « Des trucs se sont passés qui m’ont remis dans le droit chemin, dit-il, évoquant les reproches du staff à l’issue de la dernière tournée de novembre. J’ai essayé de faire des efforts, j’allais courir à jeun les lundis, mardis et mercredis matin. Pour moi, pour mon club, sans penser à la Coupe du monde. » Sa fin de saison réussie avec Toulon – il était titulaire en finale de Coupe d’Europe face à Clermont (24-18) – puis sa présence dans la liste des 36 présélectionnés pour le Mondial (18 septembre-31 octobre) sont arrivées en récompense.

IL JOUE GROS À TWICKENHAM

« Surpris » d’être appelé, il s’est convaincu de s’accrocher. « Avant le premier stage, je ne savais pas du tout dans quoi je m’embarquais, et je ne voulais pas le savoir, raconte-t-il. Pourquoi  ? Je ne voulais pas me gâcher les vacances peut-être (sourire). » Il a pris les séances inaugurales en pleine poire, avouant que c’est « avant Tignes  », lors du premier stage à Marcoussis, qu’il a le plus été éprouvé mentalement. À la fois grave et amusé, il dissèque  : « Il y a des moments où je me disais que c’était impossible. Des jours où j’étais un peu fatigué, je me disais  : “Putain, je ne vais pas tenir.” Et puis tu te tais, et ça passe. » Au détour d’une phrase, il laisse même penser qu’il a pris goût à la violence d’une préparation de Mondial  : « C’est pas mal, ça permet de repousser ses limites… »

Presque six semaines plus tard, le plus dur est passé, la cuisse est guérie, et la barbe est toujours aussi drue, donc. Mais sous l’épaisse touffe de poils, le visage de Xavier Chiocci a changé. Inévitablement, parce que son poids a aussi souvent fait l’objet de critiques, le sujet arrive dans la conversation. « J’ai perdu », souffle le pilier, pesé à 126 kg en novembre dernier. À Tignes, le staff parlait déjà d’une demi-douzaine de « bornes » envolée dans l’enchaînement des séances. Et ? « C’est assez plaisant, ouais », glisse le jeune pilier dans un sourire à peine contenu. Lui que le staff a retenu pour voir jusqu’où son potentiel pouvait s’exprimer après une préparation de haut niveau commence à sentir des effets positifs. « Sur la course, surtout, précise-t-il. Je me sens plus mobile. J’arrive à mieux accumuler les temps de jeu, à moins souffrir. À ne plus souffrir ? Non(sourire). »

Dans un regard gourmand, il avoue qu’il a « bien envie de voir ce que ça donne » en match. À Twickenham, après-demain, il aura un premier aperçu. Et le staff saura aussi s’il peut être un pilier gauche de classe mondiale quand il est affûté. Chiocci n’a pas de temps à perdre : dans dix jours pile, un des six piliers du groupe actuel fera sans doute ses valises et lui, qui n’est pas polyvalent et présente moins de références au niveau international que ses concurrents Eddy Ben Arous et Vincent Debaty, semble en danger. « J’essaie de ne pas y penser, assure-t-il. Si je suis dans la liste, ce sera le top du top. Sinon, ce sera un mal pour un bien, j’aurai vécu une belle expérience. » Comme une découverte, à la fois d’une préparation poussée et de lui-même.

Source: lequipe.fr